Répliques Assorties : Certains mots n'éclairent pas l'esprit : exemple "paralittérature" · Φιλολoγικά / Philologica : Un peu davantage sur CSL et ses leçons de culture
- Q
- Quels arguments pourriez-vous avancer pour démontrer que la littérature est supérieure à la paralittérature ?
https://fr.quora.com/Quels-arguments-pourriez-vous-avancer-pour-d%C3%A9montrer-que-la-litt%C3%A9rature-est-sup%C3%A9rieure-%C3%A0-la-paralitt%C3%A9rature/answer/Hans-Georg-Lundahl-1
- Réponse demandée par
- Zoulou Gonzales
- Hans-Georg Lundahl
- A étudié Latin (langue) et Grec (langue) à Université de Lund
- 3.IX.2022
- Je n'étais pas sûr de la signification de "paralittérature" - mais voici, je vais partir de la réponse de Franck Antoni:
Globalement, le terme de paralittérature regroupe les «genres où l'ambition littéraire semble céder le pas au plaisir immédiat du lecteur ou à l'appât du gain que ce plaisir laisse envisager[1] ». On voit tout de suite que les limites sont floues …
Donc, les termes "littérature" et "paralittérature" semblent correspondre à ce que C. S. Lewis - je pense que l'essai s'appelait "An Experiment in Reading" - avait noté que les bibliothécaires appelaient "good books" et "books." Certaines bibliothèques en Grand-Bretagne à cette époque d'après-guerre (il est mort en 1963) avaient fait des quota : je ne suis pas sûr si pour emprunter un "book" il fallait emprunter trois "good books" ou si c'était à l'égal ou si même un "good book" autorisait deux ou trois "books" …
Ce qu'il notait est qu'il le trouvait curieux. Il avait très certainement connu des bibliothèques avant la guerre et même l'autre de 14–18 aussi - et on ne faisait pas ça. J'aimerais à ce propos savoir de quelle décennie date le terme "paralittérature"
D'abord, les "books" n'étaient pas pornographiques. Ça on ne trouvait pas dans les bibliothèques - à moins de compter D. H. Lawrence comme tel - et lui serait plutôt dans les "good books." Et ceci dit, les "good books" n'étaient donc pas non plus des livres de l'édification, comme Bibles, Bréviaires, Apologétique, Introduction à la Vie Dévote (par St. François de Sales) - ça aurait été assez rare dans les bibliothèques municipales de l'Angleterre.
L'opposé de "good books" n'était donc pas "bad books" - et comme Franck Antoni notait, on trouve navets dans les deux, des chef-d'oeuvres dans les deux. Il ne s'agit pas non plus de la qualité de l'écriture. CSL prit pour exemple Samson Agonistes ou Lycidas par Milton. Certainement "good books" mais pas bien écrits.
Les livres d'un certain âge (donc les classiques reconnus depuis plus que deux générations) étaient automatiquement "good books" mais les "good books" pouvaient également comprendre des choses comme Lady Chatterley's Lover (par D. H. Lawrence, donc déjà évoqué) ou Ulysses (par Joyce).
Quelle est la qualité que certains livres ont immédiatement, mais tous les livres acquièrent avec l'âge? Difficulté. CSL trouvait ceci très amusant. La difficulté en soi n'est pas une qualité de la littérature, la tâche de l'auteur est de rendre la lecture facile pour le lecteur. Il y a des livres qui sont bon malgré cette qualité de difficulté (et notons, la difficulté peut être une qualité pédagogique, mais ça c'est autre chose que le but de la littérature, le plaisir du lecteur, ce n'est donc pas une qualité littéraire).
Ici CSL fait une distinction. Un lecteur capable de lire juste des "books" (des livres écrits pour être lus sans difficulté et n'ayant pas acquis des difficultés par l'âge dévolu) n'a pas la même capacité que le lecteur capable de lire les livres difficiles. Mais ceci n'implique en rien que le plaisir obtenu d'un livre facile soit inférieur au plaisir d'un livre difficile - c'est simplement question d'une bibliothèque plus vaste, donc plus inépuisable.
Par contre, pour CSL, il y a de la bonne lecture et de la mauvaise lecture. Si quelqu'un dit qu'il a lu tel livre, comme si ça réglait la question, comme si tout ce qu'il fallait savoir est que tel est innocent et tel est coupable - c'est de la mauvaise lecture. Notons, CSL n'était pas friand des actu comme lecture non plus : il considérait que le lecteur moins nui par un journal était celui qui se contentait des sports, des jeux, des éventuels comic strips, et se contrefoutait du journalisme. Mais ça, d'un autre essai.
Et il y a de la bonne lecture. Un livre a évoqué quelque chose - on y retourne.
Et pour CSL, un livre capable de trouver de la bonne lecture dans au moins un lecteur, c'est un "good book" …
Pour retourner aux classiques (tous des "good books" pour les bibliothécaires) - pour être classique, un livre n'a pas juste besoin d'avoir été écrit il y a quelque temps, il doit aussi avoir survécu entretemps. Et il y a deux catégories qui survivent (et qui se chevauchent) - c'est la littérature patriotique ou pieuse et c'est de la littérature lu pour le plaisir.
Il trouvait donc pas étonnant si les "classiques de demain" (et nous sommes déjà ce demain) étaient Buchan ou Woodhouse :
- Les 39 Marches (titre original : The Thirty-Nine Steps) est un roman d’espionnage de John Buchan paru en 1915.
- Leave It to Psmith is a comic novel by English author P. G. Wodehouse, first published in the United Kingdom on 30 November 1923 by Herbert Jenkins, London, England, and in the United States on 14 March 1924 by George H. Doran, New York.[1]
Psmith semble inconnu pour les wikipédistes francophones …
Bon, pour CSL donc, quatre moyens de faire un classique (hormis la philosophie, ou les chef-d'oeuvres sont plus éparses), c'est de faire patriotisme, dévotion, romans d'espionnage et romans comiques.
En d'autres mots, l'idée de paralittérature n'a pas de sens. Et tant qu'on lit de la "vraie littérature" sans en avoir un plaisir immédiat, c'est soit parce que c'est un navet, soit parce qu'on n'a pas encore appris suffisamment pour rire d'une comédie de Molière (ou si on est trop fatigué pour rire, au minimum sourire).
"genres où l'ambition littéraire semble céder le pas au plaisir immédiat du lecteur ou à l'appât du gain que ce plaisir laisse envisager."
M a i s … le plaisir immédiat du lecteur EST une ambition littéraire!
Et ceux qui se veulent au-dessus de la paralittérature ne sont pas à l'abri du cet appât du gain. Au contraire - pour la poésie il y a eu maintenant déjà à peu près un siècle, qu'on gagne mieux (tant qu'on gagne du tout) par quelque chose d'amétrique et d'amorphe et de traumatisée que par quelque chose comme Le lai du dernier ménestrel.
Il s'agit donc d'une reproche gratuite, d'un soupçon infondé d'immoralité, jeté, sinon sur le lecteur qui a un plaisir immédiat, au moins sur son auteur.
D'où vient ça? Le wiki pour "paralittérature" évoque le terme de
Littérarité — Wikipédia
https://fr.wikipedia.org/wiki/Litt%C3%A9rarit%C3%A9
où je trouve :
Roman Jakobson introduit le concept de « littérarité » (literaturnost) dans une conférence de 1919, publiée en 1921 (NovejSaja russkaja poezija, Prague, 1921). Il le définit comme « ce qui fait d'une œuvre donnée une œuvre littéraire » dans la traduction française de Questions de Poétique (1973).
Si c'est un formulaire du fisc, ce n'est pas une oeuvre littéraire, car trop utilitaire. Si c'est un graffito, il a besoin d'être très drôle pour passer pour un aphorisme (il y en a), et autrement il est trop court.
Si c'est une oeuvre pour au moins entre autre choses donner du plaisir, s'il est aussi plus long qu'un graffito (ou qui avec la longueur d'un graffito a l'esprit d'un aphorisme) - alors, c'est une oeuvre littéraire. Le mot paralittérature n'a pas à être.
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