jeudi 4 juillet 2019
Une langue, émerge-t-elle d'une autre?
Est-il possible que de nouvelles langues émergent d'une langue existante (comme le français du latin) ?
par Hans-Georg Lundahl, linguiste amateur
https://fr.quora.com/Est-il-possible-que-de-nouvelles-langues-%C3%A9mergent-dune-langue-existante-comme-le-fran%C3%A7ais-du-latin/answer/Hans-Georg-Lundahl-1
Le français n'est pas simplement "émergé" du latin.
Il y a divers étapes, et certains sont moins prévisibles que d'autres.
Dans les temps de Cicéron, le mot "servus, servum" se prononçait "sèr-wousse, sèr-woun". 200 ans plus tard, plutôt "sèr-vous, sèr-voun" et 200 ans après ça, plutôt "sèr-vos, sèr-vo". Tout en s'écrivant toujours "servus, servum" ou plutôt "seruus, seruum".
Un beau jour il arrive que des étrangers de la Gaule ont un choc culturel en entendant "sèrs, sèrf".
Plus sérieusement, le mot "filii" prononcé à peu près comme "filiae", donc "du fils" comme "la fille". Y compris dans le nom de la Sainte Trinité, pendant un baptême. L'étranger s'est posé la question si la personne concerné avait été baptisé dans le nom du Père, de la Fille et du Saint Esprit et si donc le baptême était invalide. Non, non, c'était juste une prononciation locale de "filii" … donc, la prononciation de Gaule en latin devenait gênant.
Que faire? On est aux temps de Charlemagne, et celui-ci a des bonnes relations avec le roi anglais Alfred. On lui … non, pardon, Alfred, c'était plus tard, ça devait être son ancêtre Beorhtric ou encore son voisin au nord, Offa, oui, c'est Offa, on lui demande un anglais qui parle bien le latin.
Or, les anglais parlaient à peu près le latin des temps de leur christianisation, un latin d'Italie du début VIIe siècle, pas un latin de Gaule fin VIIIe siècle, ou encore influencé par un latin encore plus vieux, celui de Saint Patrick en Irlande. Bref, on prononçait "servus, servum" comme "sèr-vousse, sèr-voume". Beaucoup plus proche des lettres que "sèrs, sèrf", on dirait. Plus important, on distinguait nettement "filii" de "filiae" ("fi-li-yi, fi-li-yè").
Et, à Tours l'anglais en question, Alcuin de York, donne des leçons de la prononciation latine. Effet pervers imprévu mais vite repéré à Tours où il se trouve : le peuple ne comprend plus la lecture de l'évangile. Et ce donne qu'en 813 (13 ans après l'arrivé d'Alcuin), on décide d'ajouter une explication en vernaculaire après l'évangile. La prêche est née. Et le prêtre doit l'adopter assez étroitement à la langue locale pour être compris. Ce qui le provoque de l'écrire …. oui, avec la prononciation d'Alcuin, l'alphabet est redevenu assez phonétique pour écrire la langue parlée.
Et celle-ci s'affranchit du latin, parce que non plus on ne doit apprendre quelques mots savant pour suivre l'évangile, c'est la prêtre qui utilise des mots populaires dans la prêche.
Et de fait on commence à écrire d'autres choses en langue vernaculaire, d'abord en provençal, Séquence de sainte Eulalie.
Ensuite, le français au sens propre commence en Angleterre … comme le latin d'Alcuin avant et l'anglais après.
Ce genre de "divorce de langue" est moins prévisible pour le futur, mais pas impossible. L'écriture en dialectes est quand même un peu plus prometteur dans ce sens …
Ajouté en commentaire:
Notons, les deux prononciations qu'on apprend à l'école pour le latin sont juste celui de Cicéron et la variante locale ou italienne de la prononciation d'Alcuin.
Les autres, comme "sèrs, sèrf" pour "seruus, seruum" ne sont pas enseignées, mais on peut les déduire du fait que le latin en Gaule était incompréhensible à des latinistes d'ailleurs.
En Espagne, avant le latin d'Alcuin, on avait le latin mozarabe, et un exemple connu est "ultreya e suseya" comme on encourage les pèlerins à St. Jacques. Je l'analyse comme, en orthographe latine classique, "ultrerior et surserior" avec chute du neutre -rius ; et encore -rior prononcé comme -ya.
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